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Les blessures de l’âme seront longues à guérir
samedi 25 janvier 2025
16 janvier 2025 par Samah Jabr, médecin psychiatre exerçant à Jerusalem et en Cisjordanie
Les Palestiniens de Gaza célèbrent l’annonce d’un cessez-le-feu après plus de 15 mois de bombardements et de génocide israéliens sur le territoire assiégé. Le cessez-le-feu devrait entrer en vigueur dimanche
Lorsque le bruit des bombardements s’arrête et que les armes se taisent à Gaza, certains pensent que la souffrance est terminée. Mais la douloureuse vérité est que la fin de l’agression ne signifie pas la fin de la douleur. Au contraire, les survivants entament une nouvelle phase de confrontation, en affrontant les blessures psychologiques qui se sont accumulées pendant les jours de l’agression, mais qui n’ont pas eu l’occasion d’apparaître au milieu des préoccupations de survie.
Quand la vraie douleur commence après la guerre
Lorsque l’agression prend fin, les survivants se retrouvent confrontés à une nouvelle réalité. Les enfants qui ont vécu dans la peur sont plus enclins aux cauchemars et à l’insomnie, les femmes qui ont porté le fardeau de la guerre commencent à souffrir d’une dépression psychologique tardive. Les hommes ressentent le poids de la perte ou de l’impuissance à reconstruire ce qui a été détruit.Des symptômes psychologiques apparaissent progressivement : troubles du sommeil, perte d’appétit, isolement social, anxiété excessive. La société entière vit dans un état de traumatisme collectif, où les effets de la guerre psychologique font partie du quotidien.
Impact sur le tissu social
Nous savons que les guerres n’affectent pas seulement les individus, mais frappent également le tissu social. Des agressions répétées peuvent éroder les liens sociaux qui constituaient autrefois le premier rempart d’une société contre les crises. La perte d’êtres chers et les déplacements forcés affaiblissent les relations familiales et créent des disparités psychologiques entre les survivants. Les sentiments d’impuissance et de désespoir peuvent pousser certains à s’isoler ou à adopter des comportements négatifs qui nuisent à la cohésion sociale, tels que la violence domestique ou la toxicomanie.Les pressions psychologiques intenses peuvent également exacerber les divisions au sein de la société, certains se sentant déçus par le monde et le système politique ou social, ce qui crée un sentiment de méfiance mutuelle.
Ces effets s’étendent sur de nombreuses années, nécessitant des efforts intensifs pour reconstruire les relations sociales et restaurer un sentiment d’appartenance et de solidarité. La prise en compte de ces blessures sociétales est un élément essentiel du parcours de rétablissement psychologique global à Gaza.
Après un cessez-le-feu, la mise en place de programmes de soutien psychologique complets et durables devient une priorité absolue. Ce soutien ne peut se limiter à une assistance individuelle, mais doit inclure l’ensemble de la communauté. Les centres communautaires peuvent être un havre de paix où les enfants peuvent jouer et s’exprimer, et où les femmes et les hommes peuvent bénéficier d’un soutien de groupe qui les aide à retrouver leur équilibre psychologique. La formation de cadres locaux de médecins et de psychothérapeutes est une étape essentielle dans le renforcement des capacités à long terme au sein de la communauté. Les arts et le théâtre peuvent également être des outils efficaces pour exprimer les traumatismes, ce que les Palestiniens ont été capables d’utiliser pour renforcer leur résilience collective.
Bien sûr, la route n’est pas facile. Le manque de ressources, l’occupation en cours et les divisions politiques font du travail psychologique un grand défi. Mais le plus grand défi consiste à changer les perceptions sociales sur la santé mentale et à faire passer le message que la psychothérapie n’est pas un luxe mais une nécessité absolue pour retrouver la vie. La guérison de l’âme est le début de la guérison de la nation, et la nation qui guérit les blessures de son âme ne sera jamais vaincue.
Auteur : Samah Jabr
* Samah Jabr médecin-psychiatre exerçant à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Actuellement responsable de l’Unité de santé mentale au sein du Ministère palestinien de la Santé. Consultante pour des organisations internationales en matière de développement de la santé mentale. Son dernier livre paru en français : Derrière les fronts,chroniques d’une psychiatre psychothérapeute palestinienne sous occupation.