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Nous avons été effacés

jeudi 3 juillet 2025

Coupée du monde du 10 au 15 juin, la bande de Gaza retrouve un semblant de connexion Internet et cellulaire. Dans sa chronique, la journaliste gazaouie, Nour Elassy, évoque cet effacement, cette autre arme d’Israël pour « tuer dans le noir ». (Extraits)

Nous avons été effacés. Pas au sens figuré. Pas politiquement. Littéralement. Pendant plusieurs jours la semaine dernière – et aussi la semaine précédente –, Israël a bloqué Gaza. Pas d’Internet. Pas d’appels. Pas de SMS. Pas d’accès. Pas de SOS. Une exécution numérique délibérée. Gaza est devenue un cimetière de cris inaudibles.
Ce n’est pas la première fois. Et si le monde n’agit pas, ce ne sera pas la dernière. Depuis le début de ce génocide, Israël a détruit les lignes de communication de Gaza au moins neuf fois – par des bombardements et des attaques ciblées sur les réseaux pour nous faire taire, aveugler le monde, perpétrer ses massacres sous le couvert du silence.
Pendant plus de quarante-huit heures, nous avons disparu. Pas de diffusion en direct. Pas de cris enregistrés. Pas de noms. Pas de derniers mots publiés. Les bombes continuaient de tomber. Les corps s’accumulaient. Le monde défilait. Les black-out ne sont pas des effets secondaires. Ce sont des armes. Ce sont des actes d’effacement coordonnés et stratégiques.
Lors de la dernière coupure, j’ai gravi douze étages d’un immeuble bombardé, tremblante, pour capter le fil faible et interrompu d’un signal. Je ne l’ai pas fait pour ma sécurité. Pas pour m’échapper. Mais pour dire au monde que nous étions encore en train de mourir.
Nous, les journalistes de Gaza, accroupis sur les toits sous le bourdonnement des drones, envoyant des fragments d’horreur à l’extérieur. Une note vocale figée. Une photo floue. Une seule phrase : « Ils viennent de frapper une tente près de la côte. Des enfants. Aucun survivant. » Comprenez- vous ce que cela signifie, jouer sa vie pour une seule barre de signal, courir dans un escalier qui s’effondre tandis que les avions de guerre hurlent au-dessus, juste pour murmurer dans le vide ?
Il n’y a pas d’abri. Pas de bureau. Pas de salle de rédaction. Juste des antennes-relais en panne et des batteries à plat. Et pourtant, on grimpe. Car si on ne parle pas, Gaza cesse d’exister. Ce n’était pas de l’héroïsme. C’était du désespoir. Voilà ce que signifie faire un reportage en état de siège : risquer sa vie pour un signal 2G, tandisqu’un avion de chasse piloté par un criminel tourne au-dessus de nos têtes.
C’est cela, une panne de courant : un coupe-circuit. Un feu vert pour un massacre.
Nour Elassy

Au même moment, Israël lançait ses bombes contre l’Iran, l’Iran ripostait et les Etats-unis, quelques jours plus tard, larguaient à leur tour leurs bombes mortifères. Bertrand Badie commentait dans Le Monde : « Après cet usage de la puissance militaire contre l’Iran, on ne voit ni projet politique ni perspectives permettant de construire un Moyen-Orient qui soit autre chose que l’expression d’un chaos généralisé. Le vrai problème est là ! »
Et ce faisant, les peuples souffrent et les morts s’accumulent.