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Batsheva, ambassadrice de la culture israélienne
mardi 12 décembre 2017
Lettre ouverte du BDS Genève sur la Batsheva Dance Company.
De : | BDS Genève |
Au : | Milieu culturel et artistique genevois |
Chers, Chères, danseur-euse-s,
spectateur-trice-s et acteur-trice-s de la culture,
Le collectif BDS Genève a appris que la compagnie de danse israélienne Batsheva présentera son spectacle Last Work dans notre ville, en décembre prochain, à l’initiative de l’Association pour la danse contemporaine (ADC) et du Théâtre Forum-Meyrin.
Contrairement à une idée reçue dans certains milieux, il est très rare que les campagnes BDS interpellent l’opinion publique sur des artistes israélien-ne-s. De nombreux/ses artistes israélien-ne-s se succèdent à Genève chaque année, cela ne nous a jamais contrarié-e-s. Le mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) refuse en effet de boycotter les artistes. Par contre, l’imbrication de la Cie Batsheva dans la diplomatie israélienne mérite d’être mesurée dans toute son étendue.
Bien entendu, nous préférerions que la compagnie Batsheva soit acclamée pour la qualité et la beauté de ses chorégraphies, pour sa place dans la danse moderne. Malheureusement, la Cie Batsheva n’est pas que cela. Le Ministère israélien des affaires étrangères reconnaît à la compagnie un très significatif rang d’ambassadrice : « la mieux connue des ambassadrices mondiales de la culture israélienne », lit-on en toutes lettres sur le site internet du ministère [1]. Quant à la compagnie Batsheva elle-même, ses rapports annuels mentionnent la Division des affaires culturelles et scientifiques du Ministère des affaires étrangères (DACS) comme l’un de ses deux principaux subventionneurs. Qu’est-ce que cela implique ?
La division ACS a pour mission de piloter la propagande culturelle israélienne via les consulats et les ambassades à l’étranger. Or comme l’a révélé l’écrivain Yitzhak Laor en 2008, en échange des subventions de la DACS, l’artiste « s’engage à promouvoir les intérêts de l’État d’Israël via la culture et les arts, en contribuant à créer une image positive d’Israël » [2]. Si le Forum-Meyrin mentionne bien le soutien de l’Ambassade israélienne en France à la création de Last Work, à Montpellier en 2015, l’ADC, par contre, a curieusement choisi de ne pas en faire état dans sa communication.
Quant à Ohad Naharin, le directeur de la Cie Batsheva depuis 27 ans, il n’est pas seulement un artiste de génie. En 2016, il a participé à la Conférence Herzliya, une sorte de Forum de Davos qui réunit chaque année le gratin israélien de la politique, de la diplomatie, du business et de l’armée, pour discuter sécurité et politique étrangère. Ohad Naharin y tenait la fonction de fou du roi. On est là très loin de l’image de l’opposant qui jette son corps dans la bataille « avant de se rendre » ou de « se faire virer » comme l’écrivent l’ADC et le Forum-Meyrin dans la présentation de Last Work. Avec ce genre de formules, les deux institutions genevoises colportent à leur tour la légende subversive d’Ohad Naharin, alors que dans la réalité il participe, au plus haut niveau, à la réflexion institutionnelle sur la stratégie de l’État d’Israël. [3]
Cela nous a étonnés d’apprendre que deux institutions culturelles genevoises, pourtant familières des enjeux et des implications des tournées internationales, s’apprêtent à accueillir une ambassade culturelle d’un régime qui viole, en toute impunité, chacune des résolutions onusiennes, et n’a aucun égard pour le droit international humanitaire ; un régime que des centaines d’artistes suisses ont condamné à plusieurs reprises pour son système colonial et d’apartheid. Rappelons qu’en 2014, plus de 600 artistes et acteur-trice-s culturel-le-s de toute la Suisse se sont insurgé-e-s contre les bombardements sur la bande de Gaza [4]. En 2011, en réponse à l’appel palestinien au boycott au désinvestissement et aux sanctions contre le régime israélien, des dizaines d’artistes en Suisse, y compris des compagnies de danse, se sont engagées au côté du BDS tant que perdurera cet état de fait. [5]
Le régime israélien ne fait pas qu’enfermer les Palestinien-ne-s dans les bantoustans de Cisjordanie et de Gaza. Son gouvernement discrimine gravement les Palestinien-ne-s qui vivent sous sa juridiction directe. Pour ne parler que de la culture, les rentrées totales de la Cie Batsheva (dons privés et subventions publiques) approchent les 6 millions de francs (21,4 mio NIS), alors que l’ensemble de la vie culturelle du million et demi de Palestinien-ne-s citoyen-ne-s de l’État israélien est subventionnée à 5 millions de francs (18 mio NIS). Seulement 5 millions pour 20 % de la population de l’État israélien, moins que pour la centaine de salarié-e-s de la Cie Batsheva par an [6]. La ségrégation est violente.
Pis. Depuis quelques années, la censure officielle s’abat violemment sur les artistes palestiniens d’Israël qui ne se montrent pas assez dociles. En juin 2015, pour avoir joué une pièce sur les prisonniers politiques palestiniens, le Théâtre Al-Midan (La Place) de Haïfa a vu ses subventions supprimées par le Ministère israélien de la culture. Dans l’impossibilité d’assurer les salaires, il a cessé toute activité en mars de cette année [7]. A-t-on entendu Ohad Naharin s’insurger ? Non, et pourtant sa réputation de dissident reste intacte.
La question se pose : Batsheva est-ce encore de la culture ? Que faire pour que les applaudissements aux danseur-se-s ne soient entachés et récupérés par un régime qui cherche à dissimuler sa politique criminelle en détournant sur lui la lumière des projecteurs ? Nos arguments sont sur la table. Nous estimons que chacun-e dispose maintenant des outils qui lui permettront de décider comment répondre à l’offre de spectacles, de stages, de workshops et de film proposés à l‘occasion de la venue de la Cie Batsheva à Genève, entre le samedi 16 et le mardi 19 décembre 2017.
Cordialement,
BDS-Genève et BDS Suisse
[2] Yitzhak Laor ; « Putting out a contract on Arts » ; Haaretz (25/07/2008) – Pour un éclairage complet sur la politique de promotion culturelle israélienne, nous recommandons la lecture du livre Un boycott légitime d’Eyal Sivan et Armelle Laborie (Paris : La Fabrique Éditions, 2016 ; 184 pages)