Accueil > Documentation > Des documents à connaître > Pourquoi Israël hait-il tant les Palestiniens ?
Pourquoi Israël hait-il tant les Palestiniens ?
jeudi 18 août 2022
Pourquoi Israël hait-il tant les Palestiniens ?
Marwan Bishara / Al-Jazeera
La haine d’Israël envers les Palestiniens est façonnée et motivée par trois sentiments fondamentaux.
Les Palestiniens ont toutes les raisons de haïr Israël ; c’est un État d’apartheid colonial érigé sur les ruines de leur patrie. Mais pourquoi Israël déteste-t-il autant les Palestiniens ? Il les a systématiquement et sadiquement terrorisés, bloqués et emprisonnés après avoir pris le contrôle de leurs vies et de leurs moyens de subsistance, les privant de leurs libertés et de leurs droits fondamentaux.
La réponse évidente n’est peut-être pas la bonne. Oui, Israël abhorre la violence et le terrorisme palestiniens qui ont touché plus d’un Israélien, mais ce n’est rien comparé à la violence et à la terreur d’État exercées par Israël sur les Palestiniens, en lançant des guerres vengeresses et préventives, comme ce fut le cas le week-end dernier.
À mon avis, la haine d’Israël envers les Palestiniens est façonnée et motivée par trois sentiments fondamentaux : la peur, l’envie et la colère.
La peur est un facteur majeur - elle peut être irrationnelle mais aussi instrumentale.
Il n’est pas surprenant qu’Israël ait continué à craindre les Palestiniens bien après avoir occupé toutes leurs terres et être devenu une puissante puissance régionale et nucléaire. Parce que sa peur des Palestiniens n’est pas simplement physique ou matérielle, elle est existentielle.
Sous le titre approprié : Pourquoi tous les Israéliens sont des lâches, un chroniqueur israélien se demandait en 2014 quel genre de société produit des soldats lâches qui tirent à longue distance sur de jeunes Palestiniens désarmés. Quelque quatre ans plus tard, en 2018, il était effectivement surréaliste de voir les soldats israéliens se cacher derrière des défenses fortifiées alors qu’ils tiraient sur des centaines de manifestants non armés pendant des jours et des jours.
En 2005, Israël a pratiquement fui Gaza de peur, imposant un blocus inhumain aux deux millions de personnes, pour la plupart des réfugiés, qui y vivent.
Israël craint tout ce qui relève de la détermination palestinienne, unité palestinienne, démocratie palestinienne, poésie palestinienne, et tous les symboles nationaux palestiniens, y compris la langue, qu’il a dévalorisée, et le drapeau, qu’il tente d’interdire. Israël craint particulièrement les mères palestiniennes qu’il qualifie de "menace démographique". Faisant écho à cette obsession nationale israélienne pour la procréation palestinienne, un historien a averti il y a 12 ans que la démographie était une menace pour la survie de l’État juif, au même titre qu’un Iran nucléaire, par exemple, car selon lui, les Palestiniens pourraient devenir majoritaires d’ici 2040-2050.
La peur est également déterminante pour un État de garnison comme Israël, connu comme "une armée accompagnée d’un pays". Dans un livre résumant son expérience de plusieurs décennies en Israël, un journaliste américain a noté que : "Le gouvernement d’aujourd’hui attise les peurs, pour la plupart imaginaires ou du moins follement exagérées, dépeignant Israël comme un petit pays isolé, solitaire et menacé, toujours sur la défensive, toujours à l’affût du prochain signe de haine quelque part, désireux de réagir de manière excessive."
En somme, la peur engendre la haine parce que, pour reprendre les termes d’un autre observateur israélien, un État qui a toujours peur ne peut pas être libre ; un État qui est façonné par un messianisme militant et un racisme affreux, contre les indigènes de la terre, ne peut pas non plus être véritablement indépendant.
Israël est également en colère, toujours en colère contre les Palestiniens qui refusent d’abandonner ou de céder, qui ne partent pas ; loin. Israël, à toutes fins utiles, a gagné toutes ses guerres depuis 1948, et est devenu une superpuissance régionale, forçant les régimes arabes à s’incliner dans l’humiliation. Et pourtant, les Palestiniens continuent de refuser la victoire aux Israéliens, ils ne se soumettent pas, ils ne se rendent pas, ils continuent de résister quoi qu’il arrive.
Israël a les puissances mondiales de son côté, avec les États-Unis dans sa poche, l’Europe derrière lui et les régimes arabes qui lui font de la lèche. Mais les Palestiniens isolés - et même oubliés - refusent toujours de céder leurs droits fondamentaux, et encore moins de reconnaître leur défaite. Il doit être exaspérant pour Israël d’avoir tant de sang innocent sur les mains, en vain. Il tue, torture, exploite et dépouille les Palestiniens de tout ce qui leur est cher, mais ils ne cèdent pas. Israël a emprisonné plus d’un million d’entre eux au fil des années, mais les Palestiniens refusent de capituler. Ils continuent à aspirer et à lutter pour la liberté et l’indépendance, et beaucoup d’entre eux insistent sur la disparition d’Israël en tant qu’État colonial.
Israël envie également la puissance intérieure et la fierté extérieure des Palestiniens. Il envie leurs fortes convictions et leur volonté de sacrifice, qui rappellent sans doute aux Israéliens d’aujourd’hui les premiers sionistes. Les conscrits israéliens d’aujourd’hui, devenus des "Robocops", affrontent la bravoure des Palestiniens, torse nu, derrière leurs véhicules blindés, en tirant avec lâcheté et vengeance.
Israël envie surtout l’appartenance historique et culturelle des Palestiniens à la Palestine, leur attachement à la terre, un attachement que le sionisme a dû fabriquer pour inciter les Juifs à devenir des colons. Israël déteste les Palestiniens parce qu’ils font partie intégrante de l’Histoire, de la géographie et de la nature du paysage qu’il revendique comme le sien. Israël a longtemps eu recours à la théologie et à la mythologie pour justifier son existence, alors que les Palestiniens n’ont pas besoin d’une telle justification car ils appartiennent à ce pays sans effort, de manière si commode et si naturelle.
Israël a tenté d’effacer ou d’enterrer toute trace d’existence palestinienne, allant jusqu’à changer le nom des rues, des quartiers et des villes. Selon les termes d’un historien israélien, "pour trouver des parallèles exacts à la reconsécration de lieux de culte par un conquérant, il faut remonter à l’Espagne ou à l’Empire byzantin au milieu de la fin du XVe siècle."
Israël déteste les Palestiniens parce qu’ils sont la preuve vivante que les fondements du sionisme - un peuple sans terre s’installant sur une terre sans peuple - sont au mieux mythiques et en réalité violents et colonialistes. Israël les déteste parce qu’ils empêchent la réalisation du rêve sioniste sur toute la Palestine historique. Et il déteste particulièrement ceux qui vivent à Gaza, car ils transforment ce rêve en cauchemar.
Pourtant, ce serait une erreur de glorifier tout cela. L’amour est toujours préférable à la haine. La haine est destructrice et nourrit encore plus de haine. La haine est dévastatrice pour celui qui hait et celui qui est haï. Israël peut encore transformer toute cette haine en tolérance, l’envie en appréciation et la colère en empathie, si seulement il a le courage d’expier son passé violent, de s’excuser pour ses crimes, de dédommager les Palestiniens pour leurs souffrances et de commencer à les traiter avec le respect et l’honneur qu’ils méritent en tant qu’égaux, voire en tant qu’égaux privilégiés dans leur patrie. La haine d’Israël ne chassera pas les Palestiniens, mais elle pourrait bien chasser les Juifs et les éloigner.
Marwan Bishara est un auteur qui écrit abondamment sur la politique internationale et est largement considéré comme une autorité de premier plan en matière de politique étrangère américaine, de Moyen-Orient et d’affaires stratégiques internationales. Il était auparavant professeur de relations internationales à l’Université américaine de Paris.
Traduction et mise en page : AFPS /DD