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Nétanyahou ou la stratégie de la négociation sans issue
lundi 4 mars 2024
Article de René Backmann pour Mediapart
Alors qu’une nouvelle phase de la négociation sur l’instauration d’un cessez-le-feu à Gaza devait s’ouvrir ce dimanche au Caire, Israël a ajourné le départ de sa délégation pour l’Égypte, en invoquant un manquement du Hamas aux arrangements conclus.
Après le massacre du jeudi 29 février, où plus de 110 Palestinien·nes ont été tués, les négociations sur l’instauration d’une trêve dans la guerre d’Israël contre le Hamas devaient reprendre dimanche au Caire, comme l’a affirmé la veille une source égyptienne. Mais le jour-même, Israël a ajourné le départ de sa délégation pour l’Égypte en invoquant un manquement du Hamas aux arrangements conclus. Selon Haaretz, le Qatar a informé Israël que le Hamas n’avait pas fourni la liste des otages devant être libérés.
Mais le climat diplomatique est de toute façon si dégradé que les chances de réussite rapide de discussions avant le 10 mars, début du Ramadan, sont modestes. « Les discussions conduites par les dirigeants du mouvement ne sont pas un processus ouvert au prix du sang de notre peuple, a déclaré le Hamas. Si la négociation sur un cessez-le-feu et une libération des otages devait aboutir à un échec, Israël en porterait seul la responsabilité. »
Une femme devant une maison détruite par une frappe aérienne israélienne à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 3 mars 2024.
© Photo Saïd Khatib/AFP
Les négociations entamées ces derniers mois entre Israël et le Hamas, par l’intermédiaire du Qatar, de l’Égypte et des États-Unis sont restées, à ce jour, sans résultat concret. Selon Benyamin Nétanyahou et ses communicants, les conditions avancées par le Hamas étaient « inacceptables ». Même si récemment, à Paris puis à Doha, des « progrès significatifs » ont été constatés par les intermédiaires et parfois admis par les deux parties.
Mais il y a aussi d’autres explications. Manifestement plus décisives, liées aux postures politiques ou aux projets, problèmes et calculs personnels du premier ministre israélien. Au caractère composite et extrémiste, c’est-à-dire à la volatilité, de sa coalition parlementaire également. Et, enfin, à son inaptitude à envisager et préparer un après-guerre acceptable et crédible.
Tout cela est moins aisé à invoquer par l’intéressé et ses porte-paroles. Nétanyahou sait, mieux que personne, que ce qui se joue désormais, au-delà du sort des otages et même du dénouement de la guerre, de la transition vers l’après-guerre et de la recherche d’un nouvel équilibre régional, c’est son avenir, politique et personnel.
Le problème est que d’un politicien aussi égotique, cynique et manipulateur, on ne peut espérer un comportement d’homme d’État décent au moment de quitter la scène du pouvoir. Le destin de son peuple, sans parler de celui de ses ennemis, risque fort d’être éclipsé, dans ses choix ultimes, par ses inclinations idéologiques et la volonté obstinée de sauvegarder ses intérêts personnels. C’est en tout cas avec cette grille qu’un ancien député qui l’a bien connu conseille de décrypter aujourd’hui ses décisions.
Le court-termisme de Nétanyahou
De sources diplomatiques américaines et arabes convergentes, on sait que lors des rencontres à Paris, fin janvier, puis fin février entre médiateurs qataris et égyptiens d’un côté, et émissaires israéliens et américains de l’autre, le Mouvement de la résistance islamique aurait exigé, pour envisager une pause des combats et la libération des otages détenus dans la bande de Gaza – une centaine de prisonniers vivants et une trentaine de corps de captifs morts pendant leur détention – un cessez-le-feu de 135 jours en trois phases de 45 jours.
On sait aussi que le Hamas réclamait, dès la première phase de la trêve, le retrait de l’armée israélienne de toutes les zones habitées puis, lors de la troisième, son retrait complet de la totalité de l’enclave.
Au cours des deux premières phases, et à condition que ses exigences aient été respectées, le Hamas aurait remis en liberté les otages israéliens et étrangers en commençant par les femmes, les plus vieux, les malades et les blessés, en échange desquels Israël aurait libéré une partie des 8 000 prisonniers palestiniens détenus dans ses geôles, en commençant par les femmes, les hommes les plus âgés, les enfants et les malades.
Sur ces propositions, un accord semblait possible. Le reste – en particulier le cessez-le-feu de quatre mois et demi, le redéploiement de l’armée israélienne, le retour des habitants du Nord de Gaza, la liste des prisonniers Palestiniens – avait été globalement rejeté par Nétanyahou qui entend poursuivre les opérations militaires, ainsi qu’il le répète depuis le premier jour de la guerre, « jusqu’à la victoire finale ».
Pourtant, le premier ministre israélien, au désarroi de certains de ses généraux, ne semble toujours pas avoir une idée très claire de ce qu’il entend par là. L’éradication de l’aile militaire du Hamas ? La destruction de l’infrastructure politico-administrative islamiste ? Ou l’expulsion de la population palestinienne, suivie du retour de l’occupation militaire israélienne et de la colonisation, comme le rêvent tout haut certains des partenaires de sa coalition gouvernementale ?
Nétanyahou avait expliqué son refus des propositions avancées à Paris par les médiateurs qataris et égyptiens en indiquant qu’« aucun accord de cessez-le-feu ne contraindrait à retirer les forces israéliennes de Gaza avant la victoire ». Proclamant volontiers, en dépit des protestations des familles d’otages, que la pression militaire lui donnerait de meilleures conditions d’échange, il pouvait difficilement dissimuler qu’il n’est pas pressé de conclure un accord.
Offensive sur Rafah
Sans solution crédible pour l’immédiat après-guerre, peu disposé, en cas d’arrêt des combats, à rendre des comptes à l’opinion publique sur les conditions troubles dans lesquelles les islamistes ont pu organiser et perpétrer le massacre du 7 octobre, Nétanyahou n’avait d’ailleurs pas assigné un haut degré de priorité à la conclusion d’un accord lorsqu’il s’était adressé, avant son départ, à la délégation envoyée à Paris.
Organisée au Caire, à la mi-février sous le patronage de Washington représenté par le directeur de la CIA, William Burns, la négociation suivante, à laquelle participaient les mêmes émissaires égyptiens et qataris, porteurs des propositions du Hamas, et une délégation israélienne conduite par le directeur du Mossad, s’annonçait à la fois plus prometteuse et plus tendue.
Plus prometteuse car la présence de délégations jordanienne, saoudienne et émiratie ainsi que d’une représentation palestinienne permettait aux plus optimistes d’envisager que les discussions iraient au-delà du marchandage humanitaro-militaire sur l’instauration d’une pause dans les combats et la libération des otages. Et que les participants donneraient à leur discussion une dimension plus diplomatique en abordant la préparation d’un plan de paix régional à long terme qu’ils souhaitaient rendre public, symboliquement, avant le début du Ramadan.
Ces intentions pacifiques semblaient cependant assez peu réalistes, voire clairement chimériques, dans le climat du moment. Car en dépit des demandes de plusieurs capitales amies, Nétanyahou continuait à affirmer ce qu’il ne cesse de répéter : aucune négociation, aucune pression étrangère ne l’empêcherait de lancer, comme prévu, l’offensive terrestre contre Rafah que l’armée, à sa demande, est en train de préparer.
Avec pour cible une ville cul-de-sac, adossée à la frontière égyptienne où s’entassent sous des tentes ou dans des abris de fortune 1,4 million de déplacés palestiniens, terrorisés, affamés, privés d’eau potable et d’aide médicale, cette offensive de l’armée israélienne, qui a déjà fait plus de 30 000 morts depuis octobre, risque de tourner au « massacre », selon le responsable des opérations humanitaires de l’ONU, Martin Griffiths.
Nétanyahou avait décidé de ne pas envoyer de représentant au Caire. Mais les démarches indignées des familles d’otages et les manifestations de milliers d’Israéliens devant ses diverses résidences l’avaient fait changer d’avis.
Comme prévu, la négociation portait à la fois sur une pause dans les combats et sur la libération des otages. Mais aussi, comme il le redoutait, sur l’élaboration d’un plan de paix israélo-palestinien à long terme, incluant l’établissement d’un État palestinien. Un cessez-le-feu initial d’au moins six semaines devait précéder son application, qui passait notamment par la formation d’un gouvernement palestinien provisoire.
Selon Washington et ses partenaires arabes – Arabie saoudite, Égypte, Qatar, Jordanie, Émirats arabes unis –, cette « pause humanitaire prolongée » de 45 jours était nécessaire et suffisante pour permettre aux Israéliens et aux Palestiniens, mais aussi à l’ensemble de la région, d’entrer dans l’après-guerre. Ce processus de transition vers la paix n’était pas d’une originalité folle. Il était clairement dérivé de « l’Initiative de paix arabe » proposée par le souverain saoudien en 2002 et endossé formellement par la Ligue arabe lors du sommet de Riyad en mars 2007. Ce qui suffisait à le rendre inacceptable par Nétanyahou.
Opposé depuis toujours à la création d’un État palestinien, radicalement hostile au processus de paix et partisan résolu du développement de la colonisation et de l’annexion pure et simple des territoires palestiniens, Nétanyahou se comporte aujourd’hui comme si les « Accords Abraham » conclus en septembre 2020 grâce à l’aide de Trump avec les Émirats, Bahrein, puis le Soudan et le Maroc, lui avaient permis d’amorcer la normalisation entre Israël et le monde arabe sans avoir à faire la moindre concession aux Palestiniens.
Pourquoi, dans ces conditions, devoir en passer par un marchandage et un échange otages contre prisonniers qui donnerait aux pays arabes le moyen de lui extorquer des concessions qu’il refuse et que ses alliés religieux lui feraient payer d’un prix démesuré : la fin de la coalition qui lui permet de garder le pouvoir ?
Le plan pour l’après-guerre, que le premier ministre d’Israël a dévoilé il y a deux semaines après avoir obtenu l’accord du cabinet de guerre, confirme qu’il demeure agrippé à ses certitudes, au point de ne tenir aucun compte des suggestions de Washington, des propositions de ses partenaires arabes et des recommandations de la communauté internationale. Tout en démontrant son allégeance à ses alliés extrémistes du sionisme messianique nationaliste.
« Ce plan est inapplicable, d’ailleurs ce n’est pas un plan », a cruellement constaté l’ancien diplomate, Alon Pinkas, devenu analyste politique. Selon ce document, Israël entend conserver sa liberté d’action militaire dans la bande de Gaza démilitarisée, déradicalisée, amputée d’une « zone tampon » de sécurité, et administrée par des « professionnels expérimentés ». L’UNRWA serait supprimée.
Israël, qui entend aussi conserver le « contrôle de la sécurité » en Cisjordanie où doivent être construits 3 000 logements nouveaux, dans des colonies voisines de Jérusalem, rejette tout « diktat international » sur un accord avec les Palestiniens à propos du « statut final » (c’est-à-dire sur la création d’un État palestinien) et considère que « toute reconnaissance unilatérale d’un État palestinien par la communauté internationale serait une prime au terrorisme telle qu’on n’en a encore jamais vue, empêchant tout futur accord de paix ».
En complète contradiction avec les termes de référence admis depuis les accords d’Oslo, cette posture du premier ministre israélien interdit de fait une issue négociée reposant sur la création d’un État de Palestine. Faut-il s’en étonner ? Non. Puisque sa stratégie consiste, envers et contre tous, à retarder la fin de la guerre. C’est-à-dire le moment où il devra accepter de rendre des comptes.
Les dirigeants palestiniens, de leur côté, ont compris que le processus de sortie de crise américano-arabe, qui prévoit l’instauration à la fin des combats d’une administration provisoire de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, confiée à une Autorité palestinienne renforcée et revitalisée, peut leur permettre, trente ans après l’assassinat d’Itzhak Rabin, de remettre en chantier la construction de leur État, et de renouer la négociation de ses relations avec Israël.
Un nouveau gouvernement palestinien
C’est ce que confirme la démission du premier ministre Mohammed Shtayyeh remise mardi au président palestinien Mahmoud Abbas. Cette démission devrait être suivie de la désignation d’un gouvernement de technocrates chargé, en plus de la reconstruction de Gaza, de l’organisation d’élections présidentielle et législatives. Avec sa tolérance pour la corruption, son autoritarisme, sa collaboration sécuritaire excessive avec Israël, son manque de légitimité démocratique est l’une des sources majeures du discrédit de Mahmoud Abbas qui ne s’était pas soumis au verdict des urnes depuis 2006. Et dont 90 % des Palestiniens demandent aujourd’hui la démission.
Benyamin Nétanyahou a manifestement du mal à l’accepter, mais en raison de sa conduite erratique de la guerre, sa situation politique n’est pas meilleure. Son impopularité a atteint un seuil inédit. Samedi, des milliers de manifestants se sont une nouvelle fois réunis devant sa résidence à Jérusalem pour demander la libération des otages. Mission à laquelle il n’a jamais réellement accordé la priorité, contrairement à ce que souhaitaient ses concitoyens, parfois même ses électeurs.
Au même moment, des dizaines de milliers d’autres Israéliens en colère se rassemblaient dans les principales villes du pays pour exiger la démission du gouvernement et des législatives anticipées. Son ministre de la défense menace de faire exploser la coalition pour protester contre un premier ministre qui privilégie ses intérêts politiques personnels sur ceux du pays. Même un accord avec le Hamas sur un échange otages israéliens contre prisonniers palestiniens ne permettra pas de sauver son destin politique.