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L’armée israélienne a camouflé le meurtre de deux adolescents gazaouis
lundi 17 décembre 2018
Article de Donatien Huet en collaboration avec Forensic Architecture pour Mediapart
Pour prévenir les habitants de Gaza du bombardement de leurs habitations, l’armée israélienne a recours à des « frappes d’avertissement », censées permettre aux civils d’évacuer la zone. En juillet, deux adolescents ont pourtant été victimes de l’un de ces missiles. Et Israël a cherché à dissimuler les preuves de ce crime de guerre.
Le 14 juillet 2018, peu avant 18 heures, un raid israélien a visé un immeuble en construction situé dans l’ouest de la ville de Gaza. Cette bâtisse était soupçonnée d’être un repaire militaire du Hamas, le mouvement islamiste qui contrôle l’enclave palestinienne.
Ainsi qu’elle en a l’habitude lorsqu’elle cible des zones d’habitation, l’armée israélienne a recours au « roof-knocking » (« coup sur le toit », en français), technique destinée à laisser le temps aux civils d’évacuer la zone : quatre « frappes d’avertissement », considérées comme « non létales » par Israël, ont été initialement envoyées sur la partie supérieure du bâtiment, avant quatre frappes de plus grande envergure.
Sauf que ce jour-là, Amir a-Nimrah et Luai Kahil, deux adolescents gazaouis, étaient paisiblement assis sur le toit, que le premier des quatre missiles d’avertissement les a tués et qu’Israël a fait en sorte de dissimuler ce crime de guerre.
À la suite de l’attaque, l’armée israélienne a publié sur son compte Twitter des images des quatre frappes d’avertissement. La première, fatale, était manquante. À la place, une vidéo de l’une des autres frappes, prise sous un angle différent.
À partir de ces images fournies par l’armée, de celles capturées par des caméras de vidéosurveillance installées à proximité du bâtiment détruit, de documents vidéo issus du terrain et des réseaux sociaux, le laboratoire d’investigation pluridisciplinaire Forensic Architecture et l’ONG israélienne de défense des droits humains B’Tselem ont travaillé ensemble pour démonter le récit fait par l’armée de l’attaque contre le bâtiment.
Ce matériel a permis d’établir une chronologie des faits, montrant que la frappe manquante dans la série de vidéos publiées par l’armée était bien celle qui avait tué Amir a-Nimrah et Luai Kahil. Plusieurs experts en armement attestent également que les munitions utilisées pour ces frappes d’avertissement étaient des missiles antipersonnel, et donc des armes létales.
« Les “frappes d’avertissement” sont un élément essentiel du discours de l’armée israélienne pour justifier de son éthique. Mais de tels avertissements sont parfois donnés avec les mêmes missiles que ceux utilisés ailleurs pour tuer, explique Eyal Weizman, directeur de Forensic Architecture. En outre, ces prétendus “avertissements” donnent à l’armée israélienne le droit, selon eux, de lancer par la suite des bombardements intenses dans des zones urbaines densément peuplées. Ainsi, ils causent finalement plus de victimes civiles qu’ils ne les empêchent. »
« Les frappes aériennes à Gaza sont présentées comme des actions chirurgicales, conçues pour protéger les civils, sur la base d’un renseignement de précision. En réalité, tout ça n’est que pure propagande », abonde Hagai El-Ad, directeur général de B’Tselem.
« La vérité, au contraire, ce sont des pertes civiles dévastatrices, des opérations de surveillance incapables de distinguer les combattants des adolescents, des services de renseignement ineptes et des violations évidentes des droits de l’homme, le tout en totale impunité », poursuit celui dont l’ONG s’est vu remettre, lundi 10 décembre, le Prix des droits de l’homme de la République française, doté par les services du premier ministre Édouard Philippe. Une cérémonie à laquelle la garde des Sceaux Nicole Belloubet a renoncé à participer, à la suite d’une campagne de pressions exercées, en Israël, par des responsables politiques de droite et, en France, par des organisations communautaires juives.
Depuis le 30 mars, date du début de la mobilisation à Gaza pour réclamer la fin du blocus et le retour des réfugiés palestiniens sur les terres qu’ils ont fuies ou dont ils ont été chassés à la création de l’État d’Israël en 1948, au moins 235 Palestiniens ont été tués par des tirs ou des bombardements. Dans le camp d’en face, deux soldats israéliens ont perdu la vie.