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Les petits gestes de solidarité qui nous maintiennent

jeudi 2 janvier 2025, par lusi

L’agence Média Palestine propose la traduction de ce témoignage poignant de Gaza, où la résilience des Palestiniens-nes maintient en vie leur humanité.

Cet hiver à Gaza ne ressemble à aucun autre.
Ici, il arrive chargé de la douleur du génocide israélien en cours, laissant sa marque à chaque coin de rue et sur chaque visage.
La guerre n’est pas seulement la destruction dont nous entendons parler ou les bombes que nous craignons ; ses effets se font sentir dans les petits détails qui transforment les droits les plus simples en rêves lointains. Le froid nous enveloppe comme s’il faisait partie de la souffrance, ajoutant du poids à une charge déjà lourde.
Je vis seule dans une petite tente à al-Mawasi, dans le sud de Gaza. Elle a été installée après que nous ayons perdu notre maison lors d’une attaque aérienne.
La tente me protège à peine du vent et de la pluie, mais elle est devenue tout mon univers. À l’intérieur, j’ai un petit sac de farine, que je considère comme mon plus grand trésor au milieu de toutes ces épreuves.
Cette farine est ma bouée de sauvetage ; je l’utilise pour faire des miches de pain qui me font à peine vivre, mais c’est ce qui me permet de tenir dans cette dure réalité.
Je me suis retrouvée seule après que ma mère et ma sœur nous aient précédées, mon père et moi, en Égypte, à la suite du transfert médical de mon père de Gaza en Égypte. Mon père et moi sommes restés à Gaza jusqu’à la date de son transfert.
Mais Israël a envahi la zone proche du point de passage de Rafah entre Gaza et l’Égypte en mai, forçant sa fermeture.
Ma mère avait quitté Gaza juste avant cette invasion. La santé de mon père s’est rapidement détériorée.
Il est décédé en août.
La farine que j’ai actuellement n’a pas été achetée, mais reçue en tant qu’aide humanitaire avant que la pénurie de farine ne commence dans la région sud de Gaza.
Comme je vis seule, elle a suffi à me faire vivre pendant quelques mois. Malheureusement, elle n’est pas suffisante pour soutenir les familles pendant cette période difficile.
Mais le froid n’a pas de pitié, entraînant avec lui un besoin de bien plus que de la nourriture. L’eau chaude, une nécessité que je considérais comme acquise, est devenue un luxe rare.
Le froid s’infiltre dans mes os et chaque fois que j’essaie d’utiliser de l’eau froide pour me laver, j’ai l’impression de me noyer dans la glace.
Tout près d’ici vit Hanaa al-Najjar, connue de tous sous le nom d’Oum Ali. Sa maison est l’une des rares de la région à avoir survécu aux bombardements de l’armée israélienne.
Sa modeste maison semblait être un havre de paix comparé à ma tente, mais elle n’était pas en meilleur état. Elle dispose d’un chauffage solaire qui lui permet d’avoir de l’eau chaude, mais elle manque de farine, devenue rare sous le siège étouffant.
Un soir de froid glacial, alors que j’étais assise près de mon petit fourneau et que j’essayais de faire cuire du pain, j’ai pensé à Oum Ali et à ses quatre enfants : trois filles et un fils. J’ai également pensé à son mari, Hassan al-Najjar, qui vit avec eux.
Je savais qu’ils avaient autant besoin de pain que j’avais besoin d’eau chaude pour prendre un bon bain. La pluie tombait à verse et le vent hurlait contre la tente comme s’il essayait de la déchirer.
J’ai ressenti une envie irrésistible de faire quelque chose. J’ai soigneusement enveloppé quelques miches de pain dans un vieux tissu et j’ai décidé de rendre visite à Oum Ali.
La courte marche entre ma tente et sa maison me parut interminable dans le froid et la pluie. Je tenais le pain contre ma poitrine, le protégeant comme un trésor inestimable.
Chaque pas était lourd et le vent fouettait mon visage. Lorsque je suis arrivée, j’ai frappé doucement à sa porte et sa voix chaleureuse m’a appelée de l’intérieur.
Un coup a répondu
« Qui est là ? »
« C’est moi, votre voisine », ai-je répondu faiblement.
Elle a ouvert la porte avec son sourire familier, un sourire qui apportait une chaleur plus grande que n’importe quel chauffage solaire.
« Entrez, ma chère, il fait froid dehors. Qu’avez-vous avec vous ? » me demanda-t-elle en faisant un geste vers le pain que je tenais dans mes mains.
Un peu gênée, je réponds : « Du pain. Mais… j’espérais avoir de l’eau chaude pour prendre un bain. Votre chauffage fonctionne et je n’ai rien pour chauffer de l’eau ».
Elle m’a souri gentiment et m’a dit : « Vous n’aviez rien à apporter. Vous nous apportez du pain et nous vous donnons de l’eau. C’est à cela que servent les voisins. »
Je suis entrée chez elle, j’ai posé le pain sur une table et elle a commencé à remplir un seau avec de l’eau chaude provenant de son chauffage solaire.
« Votre pain sent très bon. Je n’avais rien pour nourrir mes enfants aujourd’hui. Je vous bénis », a-t-elle dit.
En portant le seau jusqu’à ma tente, j’ai ressenti une chaleur que je n’avais pas connue depuis des jours. Ce n’était pas seulement l’eau, c’était la gentillesse humaine que nous partagions malgré tout.
J’ai versé l’eau chaude dans une petite bassine et je me suis préparée à prendre un bain. Pour la première fois depuis ce qui m’a semblé être une éternité, j’ai senti le froid se dissiper non seulement de mon corps, mais aussi de mon esprit.
Cet échange de pain et d’eau était plus qu’un simple acte de commerce ; c’était un témoignage de notre humanité qui refusait d’être volée par le génocide israélien. Malgré toutes les horreurs, Oum Ali et moi sommes restées ensemble, partageant le peu que nous avions et donnant à partir de notre manque.
La vie, malgré tout ce qu’elle nous enlève, nous accorde parfois de petits moments de chaleur qui nous rappellent qu’il faut s’accrocher à l’espoir.
Cette nuit-là, alors que j’étais assise sous une couverture usée dans ma tente, j’ai pensé à Oum Ali et à ses enfants. J’ai pensé au pain que je leur avais donné et à l’eau chaude qu’elle m’avait donnée.
Ces petits gestes de solidarité sont les fils qui nous maintiennent en vie.
L’hiver à Gaza n’est plus seulement une saison. C’est une nouvelle mise à l’épreuve de notre patience et de notre résilience.
La guerre nous a pris tant de choses, mais elle n’a pas réussi à détruire l’esprit de solidarité qui nous unit. Nous n’avons peut-être pas grand-chose, mais nous sommes là les uns pour les autres.
Malgré tout, il reste une lueur d’espoir, qui ne naît pas de grandes promesses mais de moments significatifs, où nous trouvons de la chaleur dans notre humanité partagée. J’ai réalisé que je n’étais pas seule et que Oum Ali n’était pas seulement une voisine, mais qu’elle faisait partie de notre histoire collective de survie.
Lorsque je me souviens de cette nuit, je me sens plus forte, non pas grâce à l’eau chaude ou au pain, mais grâce à ce moment profondément humain qui m’a rappelé que nous vivons toujours avec une seule âme.
Quelle que soit la durée des hivers à Gaza, quel que soit le poids de l’oppression, nous nous accrochons à la conviction qu’un jour, le soleil de la liberté se lèvera, tout comme le chauffage solaire de Oum Ali a apporté de la chaleur dans mon monde au cours de cette nuit froide et amère.

Lina Hamdouna
Lina Hamdona est écrivaine et étudiante en pharmacie à Gaza.
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : The Electronic Intifada

https://agencemediapalestine.fr/blog/2024/12/30/les-petits-gestes-de-solidarite-qui-nous-maintiennent-en-vie/