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Le nombre de juifs français émigrant en Israël est en forte baisse

samedi 8 octobre 2016

Le nombre de juifs français émigrant en Israël est en forte baisse
4 octobre 2016 | Par René Backmann

Manque d’emplois adaptés aux qualifications, crise du logement, problèmes d’éducation : les Français juifs, immigrés ces dernières années en Israël pour fuir l’antisémitisme et la menace terroriste, sont déçus. Résultat : la France, qui a été pendant trois ans le plus gros fournisseur de nouveaux immigrants à Israël, est désormais dépassée par l’Ukraine.

Malgré les efforts engagés depuis quelques années par le gouvernement israélien et l’Agence juive pour inciter les Français juifs à émigrer en Israël, l’aliyah française connaît aujourd’hui un ralentissement spectaculaire. Après être devenue en 2014, pour la première fois, le pays qui fournissait le plus grand nombre d’immigrants avec 6 600 départs, la France a été largement dépassée cette année par l’Ukraine. Plus de 7 500 Ukrainiens sont partis en 2015 pour Israël, alors que le nombre d’immigrants français pour la Terre sainte ne devrait pas dépasser cette année 5 000, soit une chute de près de 30 % en un an. Et cela malgré la persistance en France du risque terroriste, qui avait largement motivé, ces dernières années, le départ pour Israël des Français juifs.

C’est ce que constate, avec regret, le rapport annuel de l’Institut pour la politique du peuple juif (JPPI), un centre de recherches de Jérusalem lié à l’Agence juive. Selon ce document, les principaux obstacles dissuadant les candidats français à l’immigration en Israël sont l’absence d’emplois, les problèmes d’éducation et le manque de logements. « L’une des inquiétudes majeures des Français, estiment les auteurs du rapport, est qu’ils auront du mal à trouver des emplois correspondant à leur formation originelle et aussi rémunérateurs qu’en France. »

Depuis l’assassinat d’Ilan Halimi par le « gang des barbares » en 2006, chaque éruption violente d’antisémitisme a provoqué un accroissement de l’émigration des Français juifs vers Israël. Ce mouvement est encouragé par l’Agence juive. Alors qu’en 2006, 1 780 Français avaient fait leur aliyah (leur « montée » vers Israël, pour les religieux), le chiffre avait atteint 2 767 l’année suivante. De la même manière, entre 2012 – année des crimes commis par Mohamed Merah à Toulouse – et 2013, le nombre d’émigrants à destination d’Israël était passé de 1 920 à 3 400. Et les attentats contre Charlie Hebdo et contre l’HyperCacher de la Porte de Vincennes avaient fait bondir ces chiffres jusqu’à 7 000.

Grâce aux améliorations portées par le gouvernement israélien au processus administratif d’immigration, saluée par le JPPI, plus de 20 000 arrivées avaient été recensées en trois ans. L’Agence juive ne cachait pas, alors, qu’elle espérait attirer en Israël 10 000 Français en 2015 et 40 000 en 2017. Pour soutenir ce mouvement, un lobby parlementaire avait été créé à la Knesset. Et des mesures incitatives très convaincantes avaient été adoptées par le gouvernement israélien.

Les « aides à l’intégration » comprenaient notamment la gratuité du billet d’avion aller, un pécule payable en six versements mensuels, de multiples facilités douanières et réductions fiscales, des bourses d’études, des stages de formation professionnelle et une dispense de déclaration de revenus obtenus hors d’Israël pendant dix ans.

Le problème, selon les auteurs du rapport, est qu’aujourd’hui, ces incitations ne suffisent plus. Car, pour une partie des nouveaux immigrants, les avantages de leur installation en Israël sont désormais éclipsés par les aléas et les problèmes de leur intégration.

Les professions libérales françaises ne sont pas reconnues en Israël et nombre de médecins, dentistes, kinés, doivent passer des examens d’habilitation avant de pouvoir exercer. Les prix de l’immobilier ont augmenté au cours des dernières années de 4 à 10 % selon les villes. L’adaptation des enfants à l’école israélienne pose aussi de sérieux problèmes. L’association Elem, qui aide les « jeunes dans la détresse », estimait au début de l’année dernière qu’à Netanya, une des villes préférées des émigrants français, près de deux cents enfants arrivés de France étaient sortis du système scolaire et vivaient en marge de la société.

À cela s’ajoutent les mauvaises surprises des systèmes d’allocations familiales, de sécurité sociale, d’indemnisation du chômage et d’éducation israéliens, moins généreux que leurs équivalents français. Les « déçus de l’aliyah » souhaitant rarement rendre leur décision publique, il n’existe pas de statistique fiable des retours en France ou des départs pour un pays tiers. Un chiffre circule cependant, depuis des années en Israël : 20 % au moins des immigrants français reprendraient l’avion dans les cinq ans suivant leur arrivée.

« Pour les juifs de France, affirme le « Plan israélien pour l’aliyah de France », que propose le JPPI, l’aliyah est d’abord et avant tout motivée par un désir de mettre fin à 2000 ans d’errance et de vivre pleinement sa judaïté dans un pays libre et souverain. Toutefois, certains éléments contribuent à la motivation au départ :1) la menace terroriste musulmane, 2) l’antisémitisme et l’érosion de la sécurité civile, 3) le ralentissement économique et l’intérêt croissant pour l’émigration parmi les jeunes Français, 4) les défaillances en matière de gouvernance et la montée des populismes et des partis politiques d’extrême droite. »

Même si le risque que fait peser le terrorisme, lourdement invoqué par Benjamin Netanyahou pour attirer en Israël les Français juifs, n’a pas disparu, il ne suffit visiblement plus à alimenter le flot d’immigration espéré il y a quelques années par l’Agence juive. D’autant que, selon le rapport du JPPI, d’autres facteurs ont joué. En France, les engagements du gouvernement à protéger la communauté juive ont été jugés crédibles, et la plupart des juifs idéologiquement motivés sont déjà partis. Et en Israël, la multiplication des attaques au couteau contre des soldats ou des colons a contribué à relativiser la « sécurité » garantie aux émigrants par le gouvernement israélien.

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L’immigration des juifs français, lit-on dans le « Plan israélien pour l’Aliyah des juifs de France », est « dépendant[e] de la confiance dans la possibilité de trouver un emploi acceptable, de l’amélioration de leur vie juive, et de la dispense d’une éducation de qualité pour leurs enfants. Si Israël était équipé pour fournir ces services, il serait possible d’assurer pour la première fois dans l’histoire du sionisme, une grande vague d’immigration d’un pays prospère. Cette percée historique créerait la possibilité de mettre en œuvre des mécanismes qui pourraient être utilisés à l’avenir pour absorber d’autres importantes populations immigrées de l’Ouest […] Si Israël ne met pas en place un plan tel que celui décrit ici, il est probable qu’à part une poignée d’idéalistes, ce seront les groupes les moins favorisés qui viendront en Israël et que privés de leurs élites communautaires, culturelles et économiques, ceux-ci seront confrontés à des situations sociales difficiles telles que celles rencontrées par les vagues précédentes d’immigration massive ».

On ne peut dire plus clairement que derrière l’appel à une « immigration sauvetage » destinée à soustraire les Français juifs aux périls accumulés de l’antisémitisme renaissant et du terrorisme islamiste, se cache une « immigration stratégique », destinée à entretenir la prospérité de l’économie israélienne mais aussi manifestement appelée, faute d’espace et de solutions immédiates en Israël proprement dit, à contribuer au développement de la colonisation des territoires palestiniens occupés. C’est-à-dire à rendre plus impossible, jour après jour, la création d’un État palestinien. Et ce, conformément à la stratégie du fait accompli mise en œuvre dans l’impunité totale par Benjamin Netanyahou.