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D’où viennent les armes du Hamas ? D’Israël, de plus en plus

mercredi 31 janvier 2024

Article originel en anglais de Maria Abi-Habib et Sheera Frenkel pour le New York Times

Les mêmes armes qui ont servi aux forces israéliennes à imposer un blocus à Gaza sont maintenant utilisées contre Israël.

Des officiers du renseignement et des militaires israéliens ont conclu qu’un nombre significatif d’armes utilisées par le Hamas lors des attaques du 7 octobre et pendant la guerre à Gaza proviennent d’une source étonnante : l’armée israélienne elle-même.

Depuis des années, des analystes ont pointé les routes de la contrebande souterraine pour expliquer comment le Hamas arrivait à rester si lourdement armé malgré le blocus de la bande de Gaza. Mais des sources de renseignement récentes ont montré l’étendue avec laquelle le Hamas a été capable de construire beaucoup de missiles et d’armes anti-chars à partir de milliers de munitions qui n’ont pas explosé lors des bombardements sur Gaza.

Les informations rassemblées depuis des mois de combat révèlent que les autorités israéliennes n’ont pas seulement mal jugé les intentions du Hamas avant le 7 octobre, elles ont aussi sous estimées ses capacités à obtenir des armes.

Ce qui est clair maintenant, c’est que les mêmes armes ayant servies aux forces israéliennes pour maintenir un blocus à Gaza pendant les 17 dernières années, sont maintenant utilisées contre eux. Les explosifs américains et israéliens ont permis au Hamas de déverser une pluie de missiles sur Israël et, pour la première fois, d’envahir des bourgs à partir de Gaza.

« Les obus non explosés sont la source principale d’explosifs pour le Hamas » dit Michael Cardash l’ancien chef de la division déminage de la police nationale israélienne, et consultant. « Ils coupent des bombes en provenance d’Israël, des obus d’artillerie en provenance d’Israël et beaucoup sont utilisés, bien sûr, et transformées pour leurs propres explosifs et missiles. »

Les experts en armement disent qu’approximativement 10 % des bombes n’explosent pas, mais dans le cas d’Israël, le pourcentage pourrait être plus élevé. L’arsenal israélien comprend des missiles de l’époque du Vietnam, abandonnés depuis longtemps par les États-Unis et les autres puissances militaires. Le taux d’échec de certains de ces missiles pourrait être de 15 %, rapporte l’un des officier des renseignements qui, comme d’autres interviewés pour cet article, parle de ces sujets sous couvert d’anonymat.

Quelque soit les chiffres, des années de bombardements intermittents et les récents bombardements à Gaza ont recouvert le lieu de milliers de tonnes d’obus non explosés qui attendaient juste d’être remployés. Une bombe de 750 livres (340 kilogrammes) qui n’explose pas peut servir à fabriquer des centaines de missiles et de roquettes.

Le Hamas n’a pas souhaité répondre à nos questions et l’armée israélienne n’a répondu à aucune question spécifique à propos des armes du groupe.

Les officiers israéliens savaient avant les attaques du 7 octobre que le Hamas pouvaient récupérer des armes fabriquées en Israël, mais l’étendue du réemploi a frappé les esprits des experts en armement aussi bien que celui des diplomates.

Les autorités israéliennes savaient également que leurs armureries étaient vulnérables au vol. Un rapport militaire qui date d’un peu plus tôt dans l’année signalait que des milliers de balles et des centaines de fusils et de grenades avaient été volées dans des bases peu sécurisées.

À partir de là, dit le rapport, ces armes cheminent vers les Territoires Occupés ou vers Gaza, à travers le Sinaï. Mais le rapport se concentre sur la sécurité militaire. Les conséquences sont traités à posteriori : « Nous fournissons des armes à nos ennemis » indique l’une des lignes du rapport, auquel le New York Times a eu accès.

Les conséquences ont été visibles le 7 octobre. Quelques heures après que le Hamas ait franchi la frontière, les soldats ont découvert le corps d’un tireur du Hamas qui a été tué à l’extérieur de la base militaire de Re’im. Des écritures en hébreu étaient visible sur une grenade à sa ceinture, a dit l’un des soldats qui l’a reconnu comme étant une grenade anti-balles israélienne, de facture récente. D’autres combattants du Hamas ont envahi la base et les officiers militaires israéliens ont dit que des armes avaient été volées et emportées à Gaza.

Quelques kilomètres plus loin, des membres de l’équipe de recherche ont collecté l’une des 5000 roquettes lancée par le Hamas ce jour là. En l’examinant, ils ont découvert que sa charge explosive venait très probablement d’un missile israélien qui n’avait pas explosé à Gaza pendant une guerre précédente, d’après un officier des renseignements israélien.

Les attaques du 7 octobre ont montré le patchwork que le Hamas a réussi à fabriquer. Il inclut des drones fabriqués en Iran et des lance-roquettes fabriqués en Corée du Nord.

Mais d’autres armes, comme les obus anti-chars, des têtes d’ogives propulsées par un lance-roquette, des grenades, des grenades thermobariques (qui ont des effets, thermiques, d’ondes de choc et qui explosent) et des engins improvisés, étaient des armes israéliennes transformées, selon des sources vidéos et des débris montrés par Israël.

D’après les spécialistes, les explosifs sont les matériaux les plus difficiles à obtenir par la contrebande et les roquettes et missiles en nécessitent une grande quantité. Et pourtant, le Hamas a lancé une telle quantité de roquettes le 7 octobre que le dôme de défense anti-aérienne israélien n’a pas pu suivre : les roquettes ont touché des bourgs, des villes et des bases militaires, couvrant ainsi les combattants qui prenaient d’assaut Israël. Une roquette a même frappé une base militaire hébergeant supposément une partie du programme nucléaire israélien.

Il fut un temps où le Hamas comptait sur des fertilisants et du sucre en poudre – qui, à poids égal, ne sont pas d’aussi puissants explosifs – pour fabriquer des roquettes. Mais depuis 2007, Israël maintient un blocus strict, ce qui restreint l’importation de marchandises comme les équipements électroniques et les ordinateurs, qui pourraient être utilisées pour fabriquer des armes.

Ce blocus et des mesures répressives à l’encontre des tunnels entrant et sortant de Gaza ont forcé le Hamas à faire preuve de créativité. Ces capacités manufacturières sont maintenant assez sophistiquées pour scier des têtes d’ogives de plus de 1000 kilos, en prélever la charge explosive et les utiliser.

« Ils ont une industrie militaire à Gaza. Une partie au dessus du sol, une partie en sous-sol et ils sont capables de manufacturer beaucoup de ce dont ils ont besoin. », dit Eyal Hulata, qui a servi comme conseiller de la sécurité nationale israélienne, et qui était à la tête de son Conseil National de Sécurité, avant de se retirer au début de l’année dernière.

Un militaire haut placé, occidental, indique que la plupart des explosifs que le Hamas utilise dans cette guerre apparaît avoir été manufacturé en utilisant des munitions provenant de bombes qui n’avaient pas explosé. Un exemple, ajoute-il, est le piège explosif qui a tué 10 soldats israéliens en décembre.

La branche armée du Hamas, les brigades al-Qassam, a affiché ces capacités à recycler ces obus depuis des années. Après la guerre de 2014, elle a formé des équipes d’ingénieurs pour ramasser les les bombes non explosées, comme des obusiers ou des bombes MK-84, de fabrication américaine.


Des ingénieurs en explosifs retirant un missile israélien lâché sur Khan Younès n’ayant pas explosé, dans le sud de la bande de Gaza, en 2021.
Image de Samar Abu Elouf

Ces équipes travaillent avec les unités de traitement des obus et des explosifs qui permettent aux gens de rentrer chez eux en toute sécurité. Ils aident aussi le Hamas à se préparer à la nouvelle guerre.

« Notre stratégie a pour but d’exploiter ces pièces, de transformer cette crise en opportunité » a dit un commandant des brigades al-Qassam à Al Jazeera en 2020.

La communication des brigades al-Qassam a diffusé, ces dernières années, des vidéos montrant précisément ce qu’elles faisaient : scier des ogives, récupérer les charges explosives, en général sous forme de poudre, et les faire fondre pour les réutiliser.

En 2019, elles ont découvert des centaines de munitions dans des vaisseaux militaires britanniques qui avaient sombré sur la côte de Gaza pendant la Première Guerre Mondiale, il y a plus d’un siècle. La découverte, fanfaronne un combattant d’al-Qassam, leur permet de fabriquer des centaines de nouvelles roquettes.

Une vidéo d’al-Qassam – plus récente puisqu’elle date de la guerre en cours – montre des militants en train d’assembler 105 roquettes Yacine dans une manufacture en lieu clos.

« La principale source d’obtention d’armes du Hamas est la fabrication domestique » dit Ahmed Faoud Alkhatib, un analyste politique de Middle East Eye qui a grandi à Gaza. « Juste une pincée de chimie, et vous pouvez faire à peu près ce que vous voulez. »

Israël restreint l’importation de masse de matériaux de construction, dont ceux qui peuvent être utilisés pour fabriquer des roquettes et d’autres armes. Mais chaque combat laisse derrière lui des quartiers entiers en ruine desquelles peuvent être extirpés et ré-employés des conduites, du béton et d’autres matériaux de valeur, selon Ahmed Faoud Alkhatib.

Le Hamas ne peut pas tout manufacturer. Certaines choses sont plus faciles à acheter au marché noir et clandestinement. Le Sinaï, région désertique largement inhabitable entre l’Égypte, Israël et la bande de Gaza reste un centre névralgique pour la contrebande des armes. Des rapports des services de renseignements israéliens mentionnent qu’on a retrouvé dans le Sinaï des armes en provenance des conflits en Libye, en Érythrée et en Afghanistan.

D’après deux des personnes haut-placées des renseignements israéliens, au moins une douzaine de petits tunnels étaient encore en activité entre l’Égypte et Gaza avant le 7 octobre. Un porte-parole du gouvernement égyptien a dit que l’armée a fait sa part pour fermer les tunnels de son côté de la frontière. « Beaucoup de ces armes qui sont actuellement dans la bande de Gaza sont le résultat de la contrebande à l’intérieur d’Israël », nous a écrit ce porte-parole dans un mail.

Mais même les rues assiégées de Gaza sont une source d’approvisionnement croissant.

Israël estime qu’il a conduit plus de 2000 attaques sur Gaza depuis le 7 octobre. Chacune de ces attaques signifient plusieurs passages, ce qui veut dire des dizaines de milliers de bombes qui ont été larguées ou lancées... et des milliers qui n’ont pas explosées.

« De l’artillerie, des grenades à mains, d’autres munitions... des dizaines de milliers de bombes non explosées resteront après cette guerre », dit Charles Birch, le chef du Service Mine Action de l’ONU à Gaza, « Elles sont laissées, comme un cadeau, au Hamas. »

Vivian Yee a contribué au reportage depuis le Caire et Zakaria Zakaria depuis Rotterdam.

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