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« Il n’y a plus de pain, de riz et de pâtes » : Gaza crie famine

dimanche 21 janvier 2024

Article de Philippe Pernot pour Reporterre

Alors que des milliers de civils gazaouis sont affamés par le blocus israélien sur Gaza, les acteurs humanitaires tirent la sonnette d’alarme.

Les bombes, les ruines et le sang — et maintenant, la faim. Alors que l’horreur des bombardements israéliens sur Gaza se poursuit, faisant presque 25 000 morts depuis le 7 octobre selon le ministère de la Santé gazaoui, la famine menace ceux qui survivent. « Il y a un manque énorme de nourriture dans toutes les zones de la bande de Gaza », s’alarme Wissam al-Zaanin, médecin généraliste gazaoui en poste à la clinique du Croissant-Rouge de Deir al-Balah, au centre de la bande de Gaza. « J’ai été témoin de nombreux cas de malnutrition et de déshydratation. Je traite également des cas de gastro-entérite et de diarrhée dus à des intoxications alimentaires », affirme-t-il.

Lui-même a dû fuir quand sa maison et sa ferme ont été bombardées et a perdu 10 kilos à cause des privations. « La plupart des gens ont réduit leurs repas à un ou deux par jour et leur régime alimentaire se compose essentiellement de conserves. Parfois, il n’y a plus du tout de pain, de riz et de pâtes », rapporte le médecin. Jusqu’à présent, il n’a pas entendu parler de cas de décès dus à la famine. « En revanche, j’ai vu de nombreux malades chroniques mourir à cause de la malnutrition et de l’absence de soins appropriés », ajoute-t-il.

Alors que les combats se propagent vers le sud, la faim les suit comme une ombre. L’ensemble de la population gazaouie souffrait dès mi-décembre d’insécurité alimentaire, martelait le dernier rapport de l’IPC, organisme qui classifie les cas de famine dans le monde. Un quart est même en situation d’insécurité alimentaire « catastrophique », surtout ceux vivant dans les ruines fumantes du nord de la bande de Gaza. Au centre et au sud, la situation est un peu meilleure — mais si elle perdure, la famine pourrait être déclarée sur l’ensemble de Gaza entre février et mai, s’alarmait l’IPC.

« Une catastrophe humanitaire d’une ampleur sans précédent »

Derrière les statistiques, les avertissements se multiplient. « Nous ne devons pas attendre la classification de la famine à Gaza pour agir. Les gens ne commencent pas à mourir lorsqu’une déclaration de famine est faite, c’est leur mort qui déclenche la déclaration, dit à Reporterre Abir Etefa, porte-parole du Programme alimentaire mondial (PAM), qui a livré de la nourriture à 15 000 personnes dans le nord du pays la semaine dernière. C’est l’une des opérations humanitaires les plus difficiles et les plus complexes que les Nations unies aient jamais gérées. Il s’agit d’une catastrophe humanitaire d’une ampleur sans précédent ».

Une famine à Gaza pourrait entraîner une surmortalité importante. L’ONG Save the Children a prévenu que les décès dus à la famine et aux maladies pourraient bientôt dépasser les décès directement causés par l’assaut militaire : 7 685 enfants de moins de 5 ans risquent la mort et souffrent d’émaciation sévère, la forme la plus mortelle de malnutrition infantile.

Du blocus à la famine

Dès avant la guerre, tout Gaza dépendait des produits venant d’Israël, malgré que celui-ci se soit retiré de la bande côtière en 2005. Plus de 46 % des terres agricoles de Gaza étaient inaccessibles aux Palestiniens, et l’industrie de la pêche était en proie à de graves difficultés, car la pêche au large est limitée par Israël à 3 ou 6 milles nautiques. Avant le 7 octobre déjà, environ 65 % des Gazaouis étaient en situation d’insécurité alimentaire et 80 % vivaient en partie grâce à l’aide humanitaire. « Avant la guerre, 500 camions d’aide humanitaire entraient dans Gaza quotidiennement, maintenant on en a 50 à 130 par jour », dit Michel Lacharité, responsable des urgences à Médecins sans frontières (MSF), basé à Jérusalem.

Après l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier, les responsables politiques israéliens ont décrété la guerre totale. Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a explicitement énoncé cette stratégie deux jours plus tard, en déclarant : « Nous imposons un siège complet à [Gaza]. Pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant — tout est fermé. Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence ». Les convois humanitaires ont ainsi été interdits jusqu’au 2 décembre.

« Il y a aujourd’hui une embellie grâce à l’arrivée de l’aide, mais la distribution reste extrêmement compliquée et hétérogène du nord au sud, car aucun lieu n’est sûr », explique Michel Lacharité. Des checkpoints israéliens jalonnent la bande de Gaza, retardant ou empêchant le déplacement des convois humanitaires, voire les attaquant carrément.

Sa collègue Pascale Coiffard, responsable des urgences de MSF en poste à Gaza, confirme : « Les bombardements sur ou autour des hôpitaux et des lieux de distribution empêchent les organisations humanitaires de travailler correctement. » Israël a également bombardé champs, boulangeries, ports de pêche, moulins et magasins. Et même si de la nourriture est encore disponible, « comme elle est rare, elle est devenue très chère. Les prix sont de quatre à sept fois plus élevés qu’avant la guerre », témoigne-t-elle. Un paquet de farine peut ainsi coûter entre 35 et 90 dollars (environ 32 et 83 euros), selon les fluctuations des prix.

Alors qu’Israël a forcé 85 % des Gazaouis à fuir vers le sud et a détruit 70 % des maisons de Gaza, 1,9 million de personnes se concentrent à Rafah et dans le sud de la bande à Gaza, vivant dans des tentes ou des abris de fortune. L’Organisation des Nations unies (ONU) y dénonce des conditions « apocalyptiques ». En manque d’eau, de nourriture, de médicaments et de carburants, les rares hôpitaux en service ne peuvent lutter efficacement. En plus des 62 000 blessés de guerre, des milliers de Gazaouis développent des maladies infectieuses, que la faim et la malnutrition ne font que renforcer : gastro-entérites, infections des voies respiratoires, diarrhées, hépatites….

La faim comme arme de guerre

« C’est une vengeance d’Israël contre tout Gaza, une punition collective. Israël utilise la famine comme arme de guerre », déplore Moayyad Bsharat, coordinateur de la Via Campesina et de l’Union des comités du travail agricole (UAWC) en Cisjordanie occupée, basé à Ramallah. Les deux organisations paysannes ont été les premières à avertir du risque de famine et à critiquer la stratégie de guerre israélienne, dès le 11 octobre. « Les déclarations de responsables israéliens dans les médias coïncident avec les actions israéliennes : ils détruisent systématiquement tout ce qui assure la survie des Gazaouis, puis les déplacent vers le sud de Gaza, dans l’espoir de les expulser en Égypte », dit Moayyad Bsharat.

Selon lui, cette politique israélienne serait l’un des principaux dangers pour la société gazaouie : « La compétition pour fournir le peu de nourriture disponible est un processus crucial, en particulier pour les familles avec enfants, les malades et les blessés. La recherche de nourriture elle-même est un processus inquiétant et psychologiquement fatigant et stressant. Et on commence à voir des cambriolages, des disputes, qui menacent le tissu social ».

Déjà avant la guerre, Israël utilisait la faim comme arme politique en laissant entrer la quantité minimale de calories nécessaires à la survie. « L’idée est de mettre les Palestiniens au régime, mais pas de les faire mourir de faim », avait déclaré Dov Weisglass, conseiller de l’ex-Premier ministre Ehud Olmert, en 2006. « Les affres de la faim sont censées encourager les Palestiniens à forcer le Hamas à changer d’attitude à l’égard d’Israël ou à le forcer à quitter le gouvernement », continuait-il. Depuis le 7 octobre, il s’agirait d’intensifier cette stratégie « afin que les Gazaouis perdent espoir en la résistance et fuient », résume Moayyad Bsharat.

Human Rights Watch a emboîté le pas, accusant Israël de commettre un crime de guerre en utilisant la famine. « Les responsables israéliens ont déclaré publiquement que l’aide humanitaire à Gaza serait conditionnée soit à la libération des otages, soit à la destruction du Hamas, c’est donc une stratégie militaire. Ils ont clairement indiqué qu’ils tenaient l’ensemble de la population de Gaza pour responsable, affirme Omar Shakir, directeur régional. La faim, la soif et l’exode créent des traumatismes physiques et psychologiques profonds, même sur plusieurs générations. »

Source : https://reporterre.net/Il-n-y-a-plu...