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Récit de voyage d’une Bigourdane en Palestine

jeudi 13 octobre 2016

Article paru dans Tarbes Infos

Rosy Daunes a effectué un voyage de douze jours au printemps en Palestine. Elle a pu observer de près les conditions de vie des Palestiniens, de Jérusalem à Naplouse en passant par Bethléem, Hébron et Tulkarem. Un témoignage poignant qu’elle nous confie dans cette interview, illustrée par les photos de Françoise Seirolle, une autre participante au voyage.

Contrôle militaire routier - Photo FS

Comment s’est préparé votre voyage en Palestine ?

Je suis partie à l’occasion d’un séjour organisé par le journal « L’Humanité », du 16 au 28 avril 2016, en Cisjordanie. Nous étions 17 personnes, accompagnées par un journaliste, Pierre Barbancey. C’était mon premier voyage dans ce pays. J’avais envie depuis longtemps d’y aller, étant présidente de l’association « France Palestine » dans les Hautes-Pyrénées, et professeur d’histoire-géographie retraitée. Cette expérience m’a profondément marquée. Notre périple s’est organisé autour des étapes suivantes. Aéroport de Tel Aviv, en Israël. Jérusalem Est, où nous sommes restés trois nuits. Ensuite, Bethléem, puis Hébron, la Mer Morte et Jéricho. Depuis Jéricho, nous sommes partis pour Sabastya, dans le Nord du pays. Puis, nous avons été à Naplouse, après un détour par Tulkarem. Et enfin, notre voyage s’est achevé à Ramallah, d’où nous avons regagné l’aéroport de Tel Aviv.


Contrôle des visiteurs - Photo FS

Quelles ont été vos premières impressions à Jérusalem ?

Nous sommes arrivés en pleine nuit. Puis, nous sommes allés visiter la vieille ville de Jérusalem. À toutes les portes d’entrée de la Cité, des postes de contrôle étaient installés, avec des soldats israéliens en armes. Les jeunes palestiniens étaient systématiquement plaqués, fouillés et palpés. Une humiliation terrible pour ces jeunes. J’ai remarqué la présence d’une vieille dame palestinienne, qui ne disait rien mais observait les soldats avec un ressentiment terrible dans les yeux. Au cœur de la vieille ville de Jérusalem, située dans le secteur palestinien, des drapeaux israéliens flottaient sur de nombreuses maisons « colonisées ». Une présence très visible et provocante. Nous avons découvert l’esplanade des mosquées. Depuis quelques temps, des groupes de religieux intégristes israéliens se rendent sur cette esplanade, escortés par des soldats en armes, alors que cet espace leur est en principe interdit. La Jordanie, qui administre ce lieu, a déjà protesté à plusieurs reprises, en vain. Des femmes palestiniennes organisent à chacun de ces passages une protestation collective silencieuse. Aujourd’hui, 210 000 colons israéliens sont installés à Jérusalem Est. Nous avons ensuite visité un village proche de Jérusalem, appelé Nabi Samuel. Il est équipé d’une salle de classe et d’une salle polyvalente, au sein desquelles nous avons été accueillis. La population du village craint en permanence l’apparition des bulldozers israéliens, qui pourraient venir détruire leurs constructions. Le village est accessible par une route unique, où un seul véhicule à la fois est autorisé à circuler.

Lors de vos séjours à Bethléem et à Hébron, qu’est-ce qui vous a le plus marquée ?

D’abord, la rencontre avec la petite-fille d’un ancien agriculteur palestinien. Il était propriétaire d’une oliveraie, mais la construction du mur de séparation entre Israël et la Palestine l’empêche désormais d’y accéder. Il a pu quand même garder sa maison et son jardin. La femme que nous avons rencontrée nous a parlé de sa mère, professeur. Elle doit se lever à l’aube tous les jours pour aller travailler, car il lui faut deux heures de trajet le matin et deux heures de trajet le soir, en raison du temps perdu dans les multiples « check points » d’Israël. À Hébron, une très grande ville, nous avons découvert l’existence d’une colonie israélienne de 600 personnes, installée à l’intérieur d’un quartier fortifié. Parmi les colons, se trouvaient quelques Franco-israéliens. Nous avons pu discuter avec eux. Ils nous ont confié qu’ils habitaient auparavant à Paris, dans le XVIème arrondissement, et qu’ils avaient quitté la France car ils ne s’y sentaient plus en sécurité. Dans le souk d’Hébron, un grillage a été installé au-dessus de la rue par les Palestiniens, car les colons, installés dans les immeubles surplombant le souk, y jetaient leurs papiers. À un check point, nous avons été témoins de la manière peu amène dont les soldats israéliens traitaient une vieille palestinienne, venue prendre des nouvelles de son fils arrêté récemment…


Fouille de jeunes à Jérusalem - Photo FS

Vous avez ensuite voyagé vers Jéricho. Qu’y avez-vous découvert ?

Nous sommes partis à la rencontre d’un Palestinien qui vit avec d’autres personnes dans un campement, sous des tentes. Il n’est pas bédouin, mais sa maison a été détruite à 16 reprises par les bulldozers ! Auparavant, 200 familles vivaient là, mais elles ne sont plus que 14. Une ambulance, pour venir de Jéricho, met six heures avant d’atteindre leur campement. Les enfants vont à l’école à 40 kilomètres de là, et y restent toute la semaine. Le seul moyen de subsistance de ces Palestiniens est l’élevage et la vente de fromages. Non loin de ce campement est installée une autre colonie occupée israélienne. Autrefois, une citerne d’eau permettait aux habitants du campement de couvrir 60% de leurs besoins en eau. Désormais, cette citerne leur est inaccessible, car les colons y jettent leurs détritus. Le Palestinien que nous avons rencontré a reçu l’ordre de quitter cette région en décembre 2015, sous prétexte que ce serait « une zone d’intérêt militaire ». Mais sa famille vit ici depuis plusieurs générations, et il refuse de partir. J’ai été marquée aussi par l’omniprésence du mur de séparation, dans toutes les régions que nous avons visitées. Ce mur a pourtant été déclaré illégal par la Haute Cour de Justice internationale.

Vous avez ensuite été à Sabastya, puis à Tulkarem…

À Sabastya, nous avons été hébergés dans des chambres d’hôtes. Nous avons eu le plaisir de rencontrer un groupe de jeunes qui pratiquent la musique et la danse folklorique. Puis, nous nous sommes rendus à Naplouse, et de là, sur la journée, nous avons effectué un aller-retour pour Tulkarem. C’est dans cette ville que s’effectue le passage des Palestiniens qui vont travailler en Israël. Ils doivent passer un premier check point, au sein duquel on leur donne, ou non, l’autorisation de traverser. Depuis que les touristes viennent voir cela, il semble que la situation se soit un peu améliorée. Ces checks points sont vraiment impressionnants : chicanes, chevaux de frise, grillages, portes à tourniquet. Et bien sûr, des soldats israéliens en armes. Les personnes passent au compte-gouttes. Dans chaque guérite, deux soldats contrôlent les papiers.

Avez-vous eu le temps de visiter Naplouse ?

C’est aussi une très grande ville. Nous avons découvert la savonnerie. Des vieux messieurs y travaillent suivant une technique ancestrale. Ils prennent beaucoup de soin pour réaliser chaque pain de savon. C’est un métier très difficile. Puis, nous avons été à Ramallah. Cette ville est habitée par une véritable furie immobilière, avec des immeubles et des tours qui poussent comme des champignons. Des ONG nous ont assuré que cette urbanisation galopante est tolérée par les Israéliens, qui sont surtout intéressés par les terrains et par les zones agricoles ou désertiques. Nous avons découvert un quartier jalonné de belles résidences et de belles voitures. Les Palestiniens aisés doivent vivre là. Et juste à proximité se trouve un marché où des jeunes palestiniens travaillent dans des conditions difficiles, souvent au transport des marchandises avec un équipement rudimentaire. Nous avons visité le tombeau de Yasser Arafat et le tombeau du grand poète palestinien Mahmoud Darwich.

Quel bilan général tirez-vous de ce voyage ?

C’est une expérience qui mérite d’être vécue. Mais le voyageur en ressort plein de colère. Depuis tant d’années, on promet un État aux Palestiniens, et cela semble de moins en moins une solution possible. La situation dans ce pays ressemble beaucoup à celle de l’ancien régime d’apartheid en Afrique du Sud. D’ailleurs, des Sud-Africains ont confié à propos de la Palestine : « c’est pire que chez nous au temps de l’apartheid ! ». Les Palestiniens se sentent abandonnés par la communauté internationale. Elle laisse faire ceux qui détiennent la force, les Netanyahou et consorts. Beaucoup de personnes ignorent ce qui se passe vraiment en Palestine. Une campagne de boycott international, intitulée « BDS », a d’ailleurs été lancée à l’encontre des produits israéliens, pour tenter d’alerter le monde sur le sort des Palestiniens.


Dévastation d’une ferme - Photo FS

Quelle action menez-vous dans les Hautes-Pyrénées avec l’association « France Palestine » ?

Nous essayons de témoigner à propos de ce qui se passe là-bas. Nous organisons des expositions de photos et des ventes d’objets d’artisanat palestinien. Nous avons projeté cette année, à la Bourse du Travail, un film sur la situation en Palestine. Nous avons invité par le passé des personnalités comme Michel Warschawski ou Leïla Shahid. Nous comptons aussi participer à la prochaine semaine de la solidarité internationale en novembre 2016. N’oublions pas les Palestiniens !

Propos recueillis par Jean-François Courtille

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